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Alpine A110 1600 S - 1969 (1)





Née en 1962 du principe d’évolution permanente des A 106 et A 108, la berlinette type A 110 n’aura de cesse de progresser à son tour au gré des évolutions mécaniques apparaissant à la R.N.U.R. D’abord plutôt modeste (même pour 1962) avec ses 55 chevaux SAE tirés d’à peine 1000 cm3, la berlinette A 110 deviendra vite l’un des plus redoutable petit engin de sport de son époque, qu’il était bien difficile de suivre sur départementale sinueuse.
La première grande chance de l’A 110 Berlinette se présenta, en premier lieu, sous la forme de la R8 Gordini 1100 qui lui prêtera son formidable moteur 1108 cm3 de 95 chevaux SAE ancienne norme (il commençait à apparaître de plus en plus de chevaux SAE au mode de calcul revu, dit « nouvelle norme »). Ou 77 chevaux DIN, ce qui aujourd’hui est plus parlant. En second lieu elle se présenta sous la forme de la R8 Gordini 1300 qui lui prêtera, elle, son encore plus formidable 1255 cm3 de 110 chevaux SAE ancienne norme. Ou 88 chevaux DIN.
Entre-temps, une onéreuse version 1296 cm3 tirée du Gordini 1108 cm3 par le préparateur de Gennevilliers, Marc Mignotet, fut proposée (c’est à l’usine qu’est née cette préparation, Mignotet n’en a qu’hérité). La Berlinette obtenue avec ce moteur fut appelée « 1300 » et commercialisée à partir de Juin 1965. Elle peut être considérée à juste titre comme la première Berlinette A 110 de série à hautes performances. Il faut dire que son extraordinaire petit berlingot délivrait la puissance peu courante pour un 1300, de 120 chevaux SAE nouvelle norme (114 DIN), et que, bien secondé par la boîte 5 optionnelle très majoritairement choisie par la clientèle, il permettait un abattage fantastique pour l’époque (au début la boîte 5 n’étant pas livrée par la régie, toutes les « 1300 » reçurent une boîte 4 qui sera ensuite le cas échéant changée en échange standard par la boîte 5). Pensez donc, les 700 kg de la minuscule berlinette étaient propulsés en à peine plus de 29" depuis le départ arrêté vers la borne kilométrique, et après une lancée étonnamment courte, les 200 km/h étaient dépassés ! Ça n’a peut-être plus l’air de grand chose aujourd’hui, encore que, ramené à la cylindrée…mais à l’époque c’était stupéfiant. Tout bonnement, stupéfiant !
La Berlinette A 110 à moteur 1255 cm3 de 88 chevaux DIN n’était pas non plus un tigre de papier. Pour beaucoup moins cher que celle ayant le 1296 cm3, elle permettait déjà bien des affronts envers des sportives de beaucoup plus forte cylindrée avec son moteur repris tel que à la série.
Le travail de préparation du 1296 cm3 par l’un des meilleurs motoristes français du moment faisait de la « 1300 » quelque chose de plus extraordinaire encore, au sens littéral du terme, que ses s?urs à moteur non retouché. Si le 1255 cm3 était plus civilisé, plus agréable en conduite de tous les jours que le 1296, les 26 chevaux DIN que ce dernier avait en supplément n’étaient pas un rêve. Ils existaient vraiment ! Et tous ! Ou peu s’en faut.
À l’apparition de la Berlinette A 110 munie du moteur 1255 cm3 88 chevaux DIN de la R8 Gordini à la fin de 1966 (millésime 67), le modèle prendra l’appellation commerciale « 1300 », tout court, et la « 1300 » munie du 1296 cm3 114 chevaux DIN deviendra « 1300 Super » pour qu’il n’y ait pas de confusion. Avec ces deux moteurs l’Alpine est alors une petite reine. Mais on sait bien que l’avenir passe par une plus importante cylindrée. Le « litre un tiers » de son plus “gros” moteur ne pourra pas donner de meilleurs résultats cadrant avec les nécessités d’une utilisation routière de tous les jours. Il faut en effet penser à la fiabilité (ce qui implique les contraintes de la garantie légale) et à la souplesse, pour que soit possible la conduite détendue. Or, sur ces points précis, le 1296 cm3 se trouvait déjà un peu limité et présentait le début d’un caractère de vraie mécanique de course. On ne s’en étonnera pas. Presque 88 chevaux DIN au litre n’était pas à cette époque une performance courante et pour à saluer qu’elle fût, elle n’en avait pas moins des répercussions sur la longévité du « Cléon fonte » à culasse hémisphérique Gordini. La souplesse à dire vrai n’était pas si catastrophique (sans atteindre celle du 1255 cm3), disons plutôt que ce bon 1296 cm3 devenait de plus en plus capricieux à mesure de la prise de kilomètres et en fonction des conditions de roulage. La constance des réglages n’était pas son fort et le moindre élément perturbateur se traduisait par une dégradation de l’agrément d’utilisation : démarrage à chaud difficile, ralenti instable, progression à bas régime produisant des à-coups (particulièrement quand la température de fonctionnement n’était pas atteinte), encrassement des bougies. Rien que du très classique en fait pour un moteur de si petite cylindrée copieusement gavé par deux carbus double corps de 40 et sortant une puissance aussi importante.
Si je ne suis pas rentré ici dans le détail de tous les moteurs qu’a connu la A 110 Berlinette jusqu’à l’année 1967, avec les dates de sortie et les options mécaniques proposées, c’est simplement parce que ce n’est pas là le propos de notre article. Rien n’étant simple chez Alpine à cette époque, la moitié de votre revue y suffirait à peine pour faire le tour de tout ce qui concerne les Berlinette de cylindrée inférieure à 1300 cm3 et antérieures à la sortie de la 1600 S, notre sujet principal du jour.

Reprise de la
progression grâce à la R16
La Berlinette A 110 bénéficia d’une autre chance en provenance de son pourvoyeur exclusif en pièces mécaniques. Cette chance, c’est l’apparition en 1965 de la R16 qui lui apporta sur un plateau, en l’espèce d’un tout nouveau moteur entièrement en alliage léger. Jean Rédélé ne croyait pas opportun d’utiliser pour ses voitures le nouveau bloc R16 de modeste puissance. Ce n’est donc qu’en Juin 1966 qu’il présenta la Berlinette munie d’un moteur type R16, à la cylindrée d’origine : 1470 cm3, mais délivrant plus de puissance grâce à une petite préparation « usine » (ce n’est pas le terme qui convient le mieux) dont il n’est pas l’initiateur. Nous allons parler de cela avec précision dans un instant. Plus fort en cylindrée que tout ce qu’avait connu jusqu’alors la Berlinette, ce moteur n’était pas pour autant un foudre de guerre. Plus que la puissance avec ses 78 chevaux DIN, c’est surtout le caractère hyper sportif des 1108 et 1255 cm3 à culasse hémisphérique qui lui faisait défaut. Quant au 1296 cm3, n’en parlons pas. En toute chose il était loin devant. Et encore, n’oublions pas que les 78 chevaux étaient présents parce que c’était une version spéciale du « Cléon alu » 1470 cm3 non conforme à la version de série montée dans la berline Renault. Dans la voiture de la régie, ce ne sont pas 78 chevaux DIN qui se cachaient, mais seulement 58,5 de la même germanique et sérieuse norme de calcul. On comprend pourquoi Jean Rédélé ne s’est pas précipité sur le moteur « R16 »…
Toujours est-il que même avec une puissance de 78 chevaux, le retour en arrière consistant en l’adoption du moteur « R16 » ne sembla pas convenir à la clientèle traditionnelle de la Berlinette A 110. La version de celle-ci appelée « 1500 » pour la circonstance se vendit à même pas 20 exemplaires. Autant le dire, ce fut un fiasco.
Peut-être que le 1470 cm3 aurait mieux convenu à la clientèle la plus calme dans une carrosserie autre que la berlinette, mais les modifications à faire pour l’y adapter firent renoncer à cette offre.
Voiture résolument sportive, la A 110 à carrosserie berlinette (de l’italien berlinetta), nommée fort à propos Berlinette par Alpine (que l’on écrit alors de préférence avec un «B» majuscule), ne s’envisageait alors par une grosse part des acheteurs qu’avec un moteur de haute puissance spécifique. L’hyper sportivité de la A 110 Berlinette ressentie par l’intermédiaire de toutes les informations sensorielles transmises au pilote, dont cette voiture était comme le prolongement naturel, devait se retrouver dans son moteur. Avec une grande promptitude de réaction au toucher de pédale, des montées en régime éclair et la sonorité rauque propre aux mécaniques bien remplies, le pilote d’une Berlinette exultait. Sur les routes des années 60 libres de toute contrainte liée à la vitesse, les A 110 Berlinette « 1000 », « 1300 » et « 1300 Super » étaient redoutables d’efficacité et leurs propriétaires s’en amusaient en effet sans guère de retenue. Peu d’entre eux envisageaient la petite reine mue par un moteur placide et discret.
C’est à partir de l’année 1966 que Jean Rédélé commença à penser à une nouvelle Alpine répondant à la définition du Grand Tourisme. Pour celle-ci, l’existence du moteur « R16 » sera une providence plus encore que pour la Berlinette. La naissance de la GT a en commun ce moteur avec le développement de la Berlinette vers une plus forte cylindrée jugée nécessaire. Malheureusement, ce qui sera suffisant pour cette dernière, ultra sportive, légère et spartiate, ne le sera pas pour la plus cossue, plus bourgeoise et, surtout, plus lourde, GT. Laquelle connaîtra un début de carrière difficile. Pour l’instant, le bloc « R16 » n’est encore qu’un 1470 cm3 fermé par une culasse dont la performance n’est pas le but. Mais il est notoire que le moteur aluminium de la nouvelle grosse Renault, inadapté aux besoins de la Berlinette, est appelé à évoluer. Pour Jean Rédélé, il ne restait plus qu’à attendre afin de pouvoir profiter des avantages apportés par ce nouveau moteur de conception moderne, au goût du jour, mais en aucun cas à la pointe.

Le « Cléon alu »,
moderne mais pas
sportif pour commencer
Le plus remarquable dans le « Cléon alu », c’était bien sûr la matière dont il était principalement fait. Pour le reste c’était un moteur bien dessiné et adapté aux besoins de la très grande série, mais il n’avait pas d’avenir dans la haute performance avec sa culasse plate, ses soupapes en ligne et son bas moteur un peu faiblard.
-Le choix de l’aluminium provenait essentiellement d’un impératif incontournable dans le projet 115, qui allait devenir la Renault 16 : l’objectif prix. Sans rentrer dans les détails, il faut en effet savoir que bien que l’outillage de couler sous pression de l’aluminium fusse plus onéreux que celui de la fonte, le prix final d’un carter moteur en aluminium entièrement achevé, usinages y compris, était moins élevé que la même pièce réalisée en fonte. Au prix unitaire, s’ajoutaient également les avantages de l’aluminium en ce qui concerne l’échange thermique (nince et secondaire) et le poids moindre. La Berlinette A 110 sera la grande bénéficiaire de ce dernier avantage de l’aluminium sur la fonte, puisque avec sa disposition moteur en porte-à-faux arrière elle avait intérêt à utiliser des moteurs pas trop lourds. Notons au passage que malgré la matière de son bloc, de bien plus faible densité spécifique, le 1600 de la 1600 S est plus lourd que les 1300 (1255 ou 1296 cm3). Un fait dû à sa taille supérieure.
Si aujourd’hui on ne prête plus attention aux moteurs tout aluminium tant ils sont devenus la norme, à l’époque de la présentation de la Renault 16 il n’en était pas ainsi. C’était un signe de modernité et un choix qui traduisait une marche en avant volontaire de la part du constructeur. D’ailleurs, cela n’a pas été tout seul pour que le « Cléon alu » voit le jour doté d’un haut niveau de fiabilité. L’aluminium apportait des problèmes nouveaux. De plus, avec ce moteur, Renault ne pouvait s’appuyer sur une expérience quelconque pour tout ce qui touchait à sa constitution. À l’exception des chemises rapportées, en fonte, aucune caractéristique des moteurs fonte précédents ne se retrouvait sur le « Cléon alu ». Celui-ci se démarquait également des précédents moteurs Renault par l’intégration au bloc de diverses parties qui n’y étaient pas dans les blocs fonte : corps de pompe à huile, corps de filtre à huile et circuit de graissage.
La présence de l’arbre à cames dans le bloc ne participait pas d’une simplification de sa partie supérieure. Au contraire. Pas favorable à l’arbre à cames en tête (l’école italienne), mais néanmoins conscients de ses avantages, les ingénieurs Renault placèrent celui du « Cléon alu » très haut dans le bloc de manière à raccourcir au plus les tiges de culbuteurs. Si haut, que c’est la culasse qui intègre le couvercle de l’auge d’arbre à cames. Ledit arbre à cames tourne sur 4 portées seulement et est entraîné par une chaîne à double rangée. La tension de celle-ci est assurée par un tendeur à ressort avec cran anti-retour soumis à la pression d’huile. Un carter, lui aussi en aluminium coulé sous pression, enferme la chaîne. Les culbuteurs sont en acier forgé et sont actionnés par des tiges prenant appui sur des poussoirs coulissant dans des alésages usinés directement dans la culasse (du fait de la position on ne peut plus haute dans le bloc de l’arbre à cames). Voilà une caractéristique peu banale. La pompe à huile système Hoobourn-Eaton (rotor intérieur et rotor excentrique extérieur tournant directement dans un logement usiné dans le bloc cylindres) est entraînée par un arbre vertical à partir de l’arbre à cames. Le vilebrequin est en fonte d’acier au graphite sphéroïdal, avec contrepoids venus de fonderie et il tourne sur 5 paliers garnis de coussinets à coquille d’acier recouverte de métal antifriction au régule. Les pistons en alliage d’aluminium coulissent dans les chemises en fonte perlitique centrées par collerette en partie supérieure et guidée dans le bloc. À l’embase, l’étanchéité est réalisée par joint papier comprimé au serrage de la culasse. Les bielles sont en acier matricé à section en I. Les axes de piston en acier sont montés serrés dans les bielles et libres dans les pistons. Ils sont déportés côté bielle montante de manière à annuler le claquement de la jupe dû au basculement du piston dans le cylindre.
La culasse en aluminium est coulée en coquille. Elle est maintenue au bloc par 10 longs et très résistants goujons et l’étanchéité est assurée par un joint de culasse étudié spécialement par Reinz. La fixation particulièrement soignée de la culasse et le joint d’un genre spécial sont dus au fait que l’aluminium est un alliage possédant un taux de dilatation supérieur à la fonte et que de ce fait, une méthode de fixation et d’étanchéité ordinaire ne pouvait être satisfaisante. Cette culasse est d’un dessin très basique, puisque les chambres de combustion sont en coin avec admission et échappement du même côté. Les soupapes de dimensions et levées modestes sont par conséquent en ligne, et elles sont inclinées de 20° du côté opposé à l’arbre à cames. Quant à l’arbre à cames, son diagramme ne respire pas non plus la performance.
Alimenté par un carbu simple corps de 35 et comprimé dans un rapport de 8,6 à 1 seulement, le « Cléon alu » type usine 697 ne délivre que 58,5 chevaux DIN à 5.000 tr/min, pour un couple maxi de 10,8 m.kg DIN à 2.800 tr/min. Même en 1965, les chiffres de performance du dernier moteur Renault 1500 n’avaient rien d’extraordinaires. Ils étaient dans la norme de l’époque pour une voiture de tourisme de grande diffusion du segment moyen, point !
Ouvrons ici une brève parenthèse. Il fut colporté plus tard - beaucoup plus tard - que désirant un moteur évolutif, Renault dimensionna généreusement le « Cléon alu ». Ceci bien sûr, afin de lui permettre de délivrer des puissances autrement plus importantes que 58,5 ch, sans qu’il ait à subir de reconsidération majeure. Généralement, pour ne pas dire systématiquement fournie sans plus d’explication, cette info donne à croire que c’est le type 697 qui était dans ce cas. Or, comme nous allons le voir plus loin, ce n’est pas si simple.

D’abord à la
demande de Colin Chapman
Contre toute attente, ce n’est pas de France, et plus particulièrement de Dieppe, que viendra la première demande d’un « 697 » plus puissant, mais d’Angleterre. C’est en effet dès l’automne 1964, soit au moment où la R16 commençait seulement à faire parler d’elle, que le patron de Lotus repéra le « Cléon alu » afin de motoriser sa prochaine voiture : l’Europe.
Colin Chapman était un original dans la pratique de son passionnant métier de constructeur d’automobiles de sport. Il considérait en effet que la légèreté valait mieux que la puissance. Ce qui l’amena souvent de fois à réaliser des audaces techniques que les clients de ses voitures n’avaient pas constamment l’humeur de supporter au quotidien. Jean Rédélé, sorte de Colin Chapman à la Française, se montrait, lui, de son côté beaucoup plus pragmatique. C’est partant de son grand principe directeur, voire directif, que Colin Chapman s’intéressa au moteur tout aluminium de la R16. De plus, tout comme Rédélé, Chapman ne plaisantait pas avec les dépenses, et Renault proposait ce moteur à l’extérieur pour un prix attractif. Il n’en fallait pas plus pour convaincre le patron de Lotus d’opter pour le « 697 ». Seulement voilà, 58 chevaux et demi c’était tout de même trop peu. Même pour une voiture conçue de façon si « jusqu’au boutiste » en ce qui concernait son poids, que s’en devenait absurde (le pire étant sans conteste les vitres fixes pour économiser le poids des systèmes de manœuvre !). Aussi, Chapman demanda à Renault s’il n’était pas possible de lui fournir une version légèrement revue du « 697 ». La réponse étant positive, un accord fut signé entre les deux parties. Comme l’autre « 697 », le « spécial Lotus » sera produit entièrement à l’usine de Cléon, mais c’est le département « Renault Moteurs » qui en assura l’étude des modifications à apporter. C’est également le département « Renault Moteurs » qui se chargea de sa commercialisation. Nous n’allons pas nous attarder très longtemps sur ce moteur et allons aller droit à l’essentiel.
Le « 697 » « spécial Lotus » n’était pas modifié profondément. D’abord car le coût par moteur ne devait pas être élevé, et ensuite car la base n’était pas bâtie pour accepter une forte puissance en supplément. La progression sera de 19,5 chevaux DIN supplémentaires (78 ch au total, délivrés à 6.000 tr/min), ce qui n’était déjà pas si mal, mais malheureusement celle-ci sera accompagnée d’une malvenue baisse du couple. De 10,8 m.kg DIN à 2.800 tr/min, il passa à 10,2 m.kg à 4.000 tr/min. Pour encaisser sans dommage l’augmentation de puissance et de régime maxi (6.600 tr/min au lieu de 5.500), le « 697 » de Lotus reçut un petit traitement spécial de son bas moteur.
Pour devenir l’un des plus puissant 1600 de son époque, le « Cléon alu » originel n’avait pas les épaules. Pas plus qu’il n’avait le système respiratoire d’un sportif accompli. Bas moteur faiblard ; culasse inadaptée à admission et échappement unilatéral ; bloc manquant de rigidité, il ne pouvait que difficilement y en avoir plus pour qu’il soit confiné dans des rôles de sportif à la petite semaine. Tel qu’il était né, il ne pouvait devenir le redoutable 1600 que nous connaissons aujourd’hui depuis longtemps. Pour cela, il fallait qu’un cap soit franchi.
Plus personne, ou presque, n’en conserve le souvenir de nos jours. Renault se félicitait que son moteur moderne, modeste, mais moderne, fusse choisi par Chapman pour la Lotus Europe. La régie y voyait la possibilité d’une nouvelle et durable coopération bonne pour ses comptes et son image. De son côté, Chapman ne voyait pas d’un mauvais ?il l’éventualité que la régie lui fournisse un jour des ensembles moteur-boîte plus évolués (sous-entendu, des moteurs plus puissants et des boîtes capables de tenir la puissance). Cela aurait aidé ses productions à monter en cadence et il aurait pu ainsi créer la très performante sportive Européenne faite pour l’Europe dont il avait l’idée. D’où le nom de la voiture. Pour des raisons totalement hors sujet ici et que par conséquent je ne développerai pas, cela ne se passa pas comme il l’espéra. Alpine restera donc la seule marque de voitures de sport à cheval entre l’artisanat et l’industrie à être fourni en groupe motopropulseur Renault.
Jean Rédélé ayant lui aussi repéré les qualités du moteur aluminium, il en fit également la demande à Renault (peu après Colin Chapman me semble t’il, c’est difficile à affirmer). Alpine fut livré du même moteur 697 que Lotus, qui n’avait pas d’exclusivité. L’Europe sera présentée en Décembre 1966 et commercialisée fin Février 1967, et la Berlinette A 110 1500 sera présentée au printemps de cette même année.
Entre-temps, en Octobre 1966, au Salon de Paris, en vertu d’accords passés avec Renault, les Alpine furent exposées avec le losange à la pointe de leur museau. Cela ne devait pas changer avant très longtemps (1990), dans une tentative désespérée de renforcement d’identité.
La Berlinette A 110 1500 sera poursuivie au millésime 68 et disparut sans laisser de regret à quiconque.

Une division interface entre la régie et les clients constructeurs désireux de moteurs Renault.
En Janvier 1968, le département Renault Moteurs devient la Division Renault Moteurs. Ce changement d’appellation sous-entend un changement de structure, une amélioration des moyens de production et de contrôle et fait suite aux nombreux succès enregistrés en France et à l’étranger par les départements Renault Marine et Renault Moteurs. Notamment celui consistant en la signature du contrat passé avec DAF pour la motorisation d’une petite voiture économique.
Dans le cadre de l’association Renault-Peugeot signée en Mai 1966, les activités de la Division Renault Moteurs seront menés en relation avec la Compagnie Générale des Moteurs CLM (Indenor). C’était le temps des grands rapprochements entre Renault et Peugeot, de façon à abaisser les coûts d’études et de production et à pouvoir résister à la pression des marques étrangères. La mise en communauté des moyens Peugeot avec ceux de Renault conduira à trouver de plus en plus de petites pièces diverses en provenance de Peugeot dans la composition des Alpine.
En 1968, les ventes d’organes et de petites pièces d’équipements plus ou moins modifiées par la Division Renault Moteurs allaient en ce qui concernait uniquement les VL, chez 6 constructeurs ou transformateurs (Simpar). Au nombre desquels, bien évidemment, il y avait Alpine (fourniture des 1108 et 1255 à culasse hémisphérique Gordini et du 1470 « R16 » en spécification « Lotus »). La régie Renault avait mis en place une division capable de répondre à presque toutes les demandes sur la base de ses mécaniques, afin de satisfaire à des besoins particuliers venant de l’extérieur. Ce qui sera très profitable à Alpine pour sa Berlinette A 110 dans un premier temps, et dans un second temps pour la A 310. Le 1296 Mignotet revenait très cher, et en l’absence de la Division Renault Moteurs capable d’étudier et de produire une extrapolation performante du « Cléon alu » 1600, il aurait certainement fallu en passer par une solution approchante sur la base de ce dernier pour faire évoluer la A 110.

R16 hautes performances
En Mars 1968, au Salon de Genève, Renault présente une seconde version de la R16 destinée à l’Europe : la TS. Celle-ci est motorisée par une élaboration plus puissante du « Cléon alu ». Pour obtenir beaucoup plus de chevaux présentement et dans l’avenir, exit le type « 697 » originel, inadapté, place au type « 807 ». C’est lui qui donnera la série des puissants types « 807-25 », « 807-20 », « 844-30 », etc, de cylindrées 1605 cm3, 1596 cm3 (une option rare), 1647 cm3 (pas très puissant) et 1565 cm3. La dernière cylindrée étant celle que l’on trouve en série sous le capot de la A 110 1600 S première version.
Le type « 807 » n’est pas bâti sur la base du bloc « 697 ». Pas plus qu’il ne l’est avec le vilebrequin de 81 mm de course et avec la culasse de celui-ci. C’est donc d’un nouveau moteur qu’il s’agit.
En fait, c’est la récente version US de la R16 (non diffusée chez nous) qui inaugura le moteur « 807 ». Pas la TS. Ce nouveau moteur possède une cylindrée de 1565 cm3 grâce à un vilebrequin possédant une course de 84 mm et à un diamètre d’alésage ayant forci de 1 mm : 77 mm.
Pour permettre une meilleure circulation d’eau entre elles, contrairement aux précédentes, les nouvelles chemises sont usinées à l’intérieur. Il en résulte une épaisseur plus régulière et, par conséquent, une meilleure répartition des contraintes thermiques sur toute leur hauteur et leur diamètre. Pour pouvoir encaisser sans dommage de plus fortes contraintes mécaniques, le bloc est entièrement reconsidéré en partie basse. Une refonte qui fut en grande partie rendue nécessaire par le nouveau vilebrequin qui possède des tourillons de 6,5 mm plus long (plus grande portée). Le diamètre des tourillons reste le même, de même que les cotes des manetons.
Par contre, manetons comme tourillons reçoivent un traitement de trempe locale par induction. Ce qui leur confère une plus grande résistance. Les coussinets, que ce soit ceux de bielles ou de tourillons de vilebrequin, sont recouverts d’un alliage d’aluminium et d’étain au lieu de régule (étain et antimoine).
Le volant moteur est fixé par 7 vis (5 sur le « 697 ») au vilebrequin, sur lequel sont montées des bielles identiques au « 697 ». Le montage des nouveaux pistons sur les bielles ne varie pas.
Pour fermer sur le haut ce nouveau bloc-cylindres, on trouve une superbe culasse à fixations renforcées. De façon à obtenir de la puissance en quantité suffisante pour faire de la TS une auto très au-dessus de la R16, et pour se ménager une marge afin d’augmenter ensuite encore cette puissance sans avoir à reprendre le travail, les motoristes ont créé une culasse à chambres de combustion hémisphériques. L’architecture générale de celle-ci s’apparente beaucoup à celle du moteur de la R8 Gordini. Plus précisément, il y a deux rampes de culbuteurs, commandant, les uns, d’un côté, les soupapes d’admission, les autres, de l’autre côté, les soupapes d’échappement. Les soupapes d’admission mesurent 40 mm de diamètre et sont inclinées de 23° par rapport à la verticale, et celles d’échappement 35,35 mm de diamètre et sont inclinées de 26° par rapport à la verticale. Dans les deux cas, elles sont rappelées sur leur siège par des ressorts doubles. Une mesure rendue nécessaire par l’augmentation combinée du poids des soupapes et du régime de rotation maximum (forces d’inertie accrues). Pour résister à la pression de ces ressorts, les poussoirs d’acier que l’on trouve dans le « 697 » sont remplacés par des homologues en fonte, trempés à la coulée. La levée des soupapes est de 8,7 mm à l’admission comme à l’échappement. Pareillement que sur le moteur « 812 » de la R8 Gordini, les culbuteurs sont en biais. De cette manière ils peuvent actionner les soupapes d’admission et d’échappement placées exactement les unes en face des autres. Une disposition supérieure pour le rendement à des soupapes décalées nécessitant une forme de calotte complexe. Comme les soupapes de grand diamètre ne laissent pas suffisamment de place au sommet de la chambre de combustion pour implanter la bougie (et de très loin), celle-ci débouche latéralement aux soupapes et dans une position légèrement inclinée. C’est la différence majeure d’avec la culasse « 812 » Gordini, qui, elle, possède des bougies débouchant dans des pré-chambres de combustion. Celles-ci étant mises en communication avec les chambres de combustion par deux petits canaux débouchant de part et d’autre des soupapes, au sommet. L’emplacement de bougie du « 807 » n’étant pas idéal pour une propagation homogène du front de flamme (excentrage), pourquoi ne fut-il pas retenu la solution originale du « 812 » ? Les motoristes Renault en contestaient à juste titre l’effet double allumage. Ils lui reprochaient aussi une rapidité d’allumage moindre, du fait que le front de flamme devait déjà cheminer par les canaux de petit diamètre avant que ne s’embrase la masse gazeuse contenue dans la chambre principale. De plus, le schéma de culasse du « 812 » compliquait beaucoup le dessin, et par conséquent la coulée de la pièce, et il n’était pas sans incidence négative sur la fiabilité. Aux endroits les plus minces il apparaissait fréquemment des criques. L’excentrage de la bougie dans les chambres de la culasse « 807 » constituant un inconvénient non négligeable, on appliqua une parade. À l’opposé de la bougie, les chambres intègrent une « chasse ». Ce bossage réduit la distance du point qui serait le plus éloigné de la bougie s’il n’était pas là et permet par conséquent une combustion plus homogène. Il a aussi pour effet de provoquer au point mort haut un coincement brutal d’une partie de la charge gazeuse et de la renvoyer à l’opposé (effet de « chasse », d’où le nom mécanique de ce bossage). Ce qui provoque une forte turbulence et présente un double avantage : refroidissement de la bougie par balayage et combustion plus progressive de la charge. Une chambre de combustion hémisphérique présentant l’inconvénient d’une certaine rudesse de fonctionnement peu souhaitable pour une voiture familiale, la « chasse » élimine cet inconvénient. Le fonctionnement devient plus doux. L’effet de rudesse est d’autant plus ressenti que le rapport volumétrique est élevé. À ce propos, celui du « 807 » de la R16 TS ne l’est pas trop : 8,6/1.
Bien entendu, le diagramme de distribution n’est pas identique sur le « 807 ». Comparativement à celui du « 697 », il permet un meilleur remplissage. Pour les plus férus de technique d’entre vous, voici le diagramme de l’arbre à cames « 807 » : AOA : 21° ; RFA : 59° ; AOE : 59° ; RFE : 21°. Quant à l’alimentation, elle n’est pas non plus reprise au « 697 », mais elle reste néanmoins extrêmement modeste, puisqu’elle est assurée par un carburateur Weber vertical inversé double corps de 32 à ouverture différentielle.
Terminons la description du moteur « 807 » de la R16 TS, portant l’indice 01, par un détail. L’embase de fixation du démarreur est renforcée.
La puissance délivrée est de 83 chevaux DIN à 5.750 tr/min et le couple maximum s’établit à 12 m.kg DIN à 3.500 tr/min. Sans être un petit monstre, le « 807-01 » se situe tout de même largement un cran au-dessus du « 697 ». Ceci dit, c’est encore insuffisant pour faire le bonheur des Alpinistes épris de puissance.
De manière à ne pas réitérer l’échec de la « 1500 », Alpine ne se précipita pas sur le « 807-01 » tel qu’il apparut dans la R16 TS. Toutefois, de manière à rapidement inscrire à son catalogue une Berlinette A 110 de “grosse” cylindrée, la marque se fit livrer par la Division Renault Moteurs des « 807 » 1565 cm3 à peine préparés. Dans la foulée, la Division Renault Moteurs entreprit l’étude d’un développement sur la base « 807 » capable de sortir une bien plus grande puissance. Mais pour l’heure il ne s’agit que de monter 2 carburateurs double corps horizontaux de 40 sur une pipe prévue à cet effet, et un collecteur d’échappement spécial. Celui-ci est assemblé à un pot spécial « Alpine ». C’est tout. Avec ça, la progression en puissance n’est pas extraordinaire. Le « 807 » mis en spécification « Alpine » ne délivre encore que 92 chevaux. Et encore, ceux-ci sont exprimés dans la nouvelle norme SAE. Pour avoir une idée précise de la faiblesse de l’élévation de puissance, sachez que le « 807-01 » de la R16 TS délivrait 87,5 chevaux SAE nouvelle norme (83 DIN). Soit seulement 4,5 de moins que le « 807 » mieux alimenté monté dans la nouvelle Berlinette, nommée « 1600 ». Celle-ci prendra la place peu reluisante de l’éphémère et discrète « 1500 » en Septembre 1968.
La production du « 807 », du fait du nouveau vilebrequin de celui-ci nécessitant des opérations lui étant particulières, obligea à un réaménagement des équipements de l’atelier du département 41 de l’usine de Cléon qui assurait l’usinage des vilebrequins des moteurs « 697 » et « 807 ».
Le « 697 » devenu « 807 » étant maintenant mieux adapté pour délivrer de fortes puissances, la Division Renault Moteurs peut dorénavant laisser libre cours à son bureau d’études pour que celui-ci fasse en sorte de booster véritablement ce moteur. Et ainsi répondre aux attentes d’Alpine en matière de puissance et de souplesse.