Alpine A110 1600 S - 1969 (2)
La «grosse» Berlinette arrive
En Octobre 1969, la A 110 Berlinette « 1600 » gagne 10 chevaux SAE. Ce n’est pas cette petite évolution qui fera figure d’événement au Salon de Paris. L’événement, ce sera l’avènement de la « 1600 ». Ça y est ! Une Berlinette est enfin équipée d’un «gros» moteur ! Il faut se replacer dans le contexte de l’époque et entendre « gros » aux standards de cette même époque et en référence à une cylindrée : 1,6 L, nettement supérieure au litre trois cents jusqu’alors seul capable de sortir une forte puissance.
Le nouveau berling’ délivre 138 chevaux SAE à 6.000 tr/min et 14,7 da/N SAE à 5.000 tr/min (l’utilisation de plusieurs normes en 1969 ne facilite pas les comparaisons). Le régime maximum n’est pas repoussé à l’égal des 1300, et notamment du « 1300 Super » devenu simplement « 1300 S » pour le millésime 70, puisqu’il est fixé à 6.500 tr/min, certains documents indiquant même 6.250 tr/min (7.000 pour le 1300 G et 7.500 pour le 1300 S !). Les amateurs de régimes himalayens resteront sur leur faim. Le 1600 S est plus en vigueur contenue, il pousse plus en bas et crie moins en haut. C’est autre chose. Mais en tous les cas ça y est enfin, Alpine tient son 1600 sportif !
138 chevaux SAE (nouvelle norme) et 14,7 da/N étaient des chiffres respectables en 1969 pour un 1600. En norme DIN, plus parlante aujourd’hui, la puissance s’établit à environ 125 chevaux. Soit une puissance spécifique de 79,87 chevaux. Quelque 20 ans plus tard, bien des moteurs sportifs seront une dizaine de chevaux en dessous au litre de cylindrée. Il faudra même plutôt voir du côté des turbos pour trouver des valeurs passant au-dessus. Et encore, pas à tous coups aussi nettement que l’on pourrait le croire.
Pour le millésime 70, le 1296 cm3 de la « 1300 S » atteint l’importante puissance de 132 chevaux SAE. Soit environ 120 chevaux DIN (92 ch/l). Ce qui ne représente que 5 petits chevaux DIN de différence d’avec le nouveau “gros” modèle. Malgré ce faible écart sur le papier, compensé par un poids moindre, la « 1300 S » ne s’adresse pas aux mêmes personnes. Son utilisation routière est moins aisée que celle de la « 1600 S ». Par conséquent la « 1300 S » sera surtout l’objet d’achats de la part de clients désireux de s’inscrire en compétition. Peu d’exemplaires connaîtront une vie paisible de voiture de promenade.
Étant donné le poids extrêmement modéré de la « 1600 S » : environ 685 kg (ce n’est pas tout de même les 624 que l’on peut lire ici ou là) contrôlé par le service des mines, cela donne un rapport poids/puissance de 5,48 kg par cheval DIN. Pas mal du tout ! Deux décennies plus tard, et même trois, des voitures réputées pour ne pas lambiner ne pourront pas en dire autant. Nous verrons à la fin l’incidence bénéfique qu’a ce chiffre sur les performances.
Pour en arriver là où il en est en Octobre 1969 dans l’Alpine, le « 807-01 » de la R16 TS fut profondément remanié par la Division Renault Moteurs. La production du nouveau « 807 » indice 25 obtenue à l’adresse de la A 110 sera assurée par un atelier affecté spécialement au sein de l’usine de Cléon. Après contrôles poussés, les moteurs « 807-25 » étaient livrés à Alpine prêts à l’emploi.
Voyons maintenant ce qui différencie le « 807-25 » de ces prédécesseurs, et notamment du « 807-01 » dont il découle le plus directement :
- La culasse est spécifique de par l’agrandissement des conduits d’admission et la réduction du volume des chambres de combustion.
- Le rapport volumétrique est de 10,25/1.
- Le joint de culasse est renforcé par un double sertissage et il est plus épais.
- Le diagramme de l’arbre à cames est spécifique : AOA : 40° ; RFA : 72° ; AOE : 72° ; RFE : 40°.
- Les tiges de culbuteurs sont réduites en longueur.
- La levée des soupapes est augmentée.
- Les soupapes d’admission sont de diamètre augmenté et leur tête est moins creuse.
- La forme de la tulipe des soupapes d’échappement est différente.
- Les culbuteurs reçoivent un traitement thermique différent pour plus de résistance.
- Le cache culbuteurs est en aluminium et présente un A en relief.
- Les pistons sont plus bombés et sont renforcés au niveau de leur jupe ; les segments sont spécifiques, ainsi que les axes, qui sont montés entièrement libres.
- Les bielles sont renforcées.
- Le vilebrequin possède un pion de centrage supplémentaire.
- Le carter-cylindres est renforcé au niveau des paliers par des nervurages plus importants.
- Le carter d’huile est d’une hauteur réduite (mais plus large) avec ailetage latéral.
- La crépine de pompe à huile est de hauteur réduite.
- Le rotor de pompe à huile est plus gros.
- Le pignon d’entraînement de pompe à huile est plus gros.
- La pompe à eau est entraînée par un couple de poulies plus démultiplié.
- La pompe à essence n’a pas la même position angulaire.
- L’alternateur est entraîné par une poulie de plus grand diamètre.
- Les bougies sont des Champion N62R.
- Les carburateurs sont des doubles corps Weber 45 DCOE montés sur des pipes spéciales.
- L’allumeur est un Ducelier 4.266 sans courbe d’avance à dépression et avec courbe d’avance centrifuge identique au moteur de base.
- Le collecteur d’échappement est un « 3Y ».
- Le carter de distribution est usiné de manière à recevoir une plaque intermédiaire de support de traverse arrière.
En Décembre 1972, la Berlinette A 110 1600 S, portant le type usine 1600 VB, adopte le moteur créé pour la A 310. Son type devient alors 1600 VC. Le moteur « 844-30 » de la A 310, qui d’ailleurs n’étant pas reconduit exactement à l’identique dans la A 110 prend pour la circonstance l’indice 32, diffère essentiellement du « 807-25 » de par ses chemises et pistons portant l’alésage à 78 mm. Ce qui accroît la cylindrée de 1565 à 1605 cm3. Le volume des chambres de combustion est réajusté à 43,4 cm3 par réduction des chasses pour conserver une valeur de rapport volumétrique à 10,25/1. Extérieurement, le « 844-32 » monté dans la A 110 ne se présente pas comme le « 844-30 » monté dans la A 310 (position de l’alternateur, carter d’huile, fixation moteur, filtrage de l’air), mais fondamentalement, c’est exactement le même moteur. Ce qu’indique le type inchangé. À moins de chercher la petite bête, à tout prix, on peut dire que Berlinette A 110 1600 S type VB (1565 cm3) ou VC (1605 cm3) disposent de la même puissance, et par conséquent offrent des performances identiques.
L’évolution de la boîte de vitesses ne fut pas à la
hauteur de celle du moteur.
Par l’intermédiaire d’un carter d’embrayage de R16, le moteur « 807-25 » fut accouplé à une boîte 5 vitesses type « 353 » dérivée de la boîte 4 de la R8. Pour la circonstance, la boîte 5 type « 353 » de la 1600 S prend l’indice 20.
Cette boîte « 353-20 » est issue d’un long cheminement d’évolutions successives qui remonte à la Renault 8 Gordini 1100 (R 1134), voiture dans laquelle elle reçut ses premières modifications de renforcement, et encore au-delà si on considère les modèles non sportifs. Elle portait alors dans la Gordini le type « 330-06 ». Comme de juste, cet organe sera aussi monté dans les Alpine A 110 (V70, 1100 et GT4). Plusieurs évolutions virent ensuite le jour avec des changements touchant à son aptitude à passer la puissance ou touchant à l’étagement de ses 4 rapports en fonction des modèles de la régie qu’elle devait équiper. À la sortie de la R8 Gordini 1300 (R 1135), il lui fut adjoint un 5ème rapport contenu dans un carter auxiliaire. C’est alors qu’elle prit le type « 353 » (indice 03). Elle est alors légèrement renforcée. Malgré cela, cet organe ne sera pas à la hauteur du fougueux petit 1300 de 88 chevaux DIN et trouvera la vie bien dure. De plus, ce ne sera vraiment pas la plus agréable des boîtes de vitesses à manœuvrer. Ses défauts sont criants.
Pour la Berlinette A 110, la « 353-03 » devient « 353-05 » en adoptant un couple conique 9 x 34 au lieu de 8 x 33. Pour le reste, la seconde nommée est identique à la première. Ladite « 353-05 » sera montée en série sur les 1300 G et S, et en option sur les autres modèles.
Il sera aussi possible d’obtenir en option des boîtes dites « Rallye », type « 353-11 » et « 353-13 », à 5 vitesses. Nous n’en parlerons pas plus car elles forment une branche particulière dans l’arbre des boîtes type « R8 » et ne mènent par conséquent pas à la boîte de la 1600 S.
À l’apparition de la 1600 S, une nouvelle boîte type « 353 » fut créée : la 20, donc. La « 353-20 » ne diffère de la « 353-03 », ou de la « 353-05 », que par son couple conique 8 x 27 renforcé, son couple de tachymètre 6 x 11 et son accouplement au carter d’embrayage type « R16 ». La pignonnerie reste la même. À savoir : 1re : 13 x 47 (3,62) ; 2me : 19 x 45 (2,36) ; 3me : 23 x 29 (1,69) ; 4me : 27 x 35 (1,29) ; 5me : 31 x 32 (1,03). Cette boîte de frêle constitution sera indubitablement de talon d’Achille de la puissante 1600 S.
En option, il sera dans un premier temps possible de faire équiper sa 1600 S d’une boîte dite « Rallye » du type « 353-16 » qui sera ensuite remplacée par le type « 353-36 » sans que ce dernier ne reçoive d’évolution majeure. Ces boîtes « Rallye » « 353-16 » et 36 différaient de la boîte de série par leur couple conique 9 x 34 renforcé et par leur couple de pignons de 2ème, 3ème et 4ème ré-étageant les rapports plus favorablement.
Apparue ensuite, et toujours en option, la « Rallye » « 364-01 », plus résistante, identiquement étagée que les deux précédentes « Rallye ». « 353-16 » et 36, donc.
Pour le millésime 71 apparue une nouvelle boîte, en option, type « 364-06 ». Comparativement à celle de série, la « 353-20 » donc, la « 364-06 » possède un différentiel renforcé, un arbre d’embrayage différent et une 5ème redéfinie par une inversion du nombre de dents des pignons. De 31 x 32 il passe à 32 x 31, ce qui a pour effet de légèrement surmultiplier la 5ème (0,96). Le couple conique (8 x 27) est conservé.
Notons que l’option moteur « 1600 GS » (une option de très haute puissance) recevait la boîte « 364-06 », sauf sur demande. Auquel cas le « 1600 GS » était accouplé à la « 364-01 ».
En Octobre 1972, pour le millésime 72, la 1600 S peut être équipée d’une nouvelle version de la boîte 364, portant l’indice 05. Le couple conique est un 11 x 34 (rapport 0,323 au lieu de 0,296 pour le 8 x 27), les rapports sont normaux (idem 353-20) et le couple tachymétrique est un 6 x 10.
La « 353-20 » et la « 364-05 » pouvaient recevoir sur demande la 5ème “longue” de la « 364-06 ». Nous allons nous arrêter là, avant de largement déborder de notre sujet. Voilà en gros pour les boîtes de la 1600 S portant le type usine 1600 VB.
S’agissant de la 1600 S portant le type 1600 VC, la boîte accouplée de série au 1605 cm3 type « 844-32 » est toujours une « 353-20 ». La « 364-06 » étant encore bien sûr disponible en option pour ce modèle, ainsi que la « 364-05 ».
Comme nous venons de le voir, la 1600 S put être assemblée avec 6 boîtes de vitesses différentes, selon la demande de l’acheteur et année modèle. Enfin…différentes, oui, mais pas tant que cela. Toutes en effet avaient leur origine dans la boîte R8 et par conséquent le schéma restait le même, avec ses inconvénients : synchronisation peu rapide, sélection peu précise, volume interne très limité ne permettant pas d’augmenter suffisamment la taille des éléments tournants afin d’obtenir un renforcement capable d’encaisser sans coup férir la puissance du 1600.
Une fois de plus, nous avons l’occasion de nous rendre compte que décidément, rien, mais vraiment rien, n’était simple chez Alpine au temps de la Berlinette. Et encore, nous ne parlons que de la 1600 S et tout ce qui la compose n’est pas passé ici en revue.
Jubilatoire
C’est connu, l’Alpine A 110 Berlinette est l’une des automobiles les plus ludique qui soit. Maintenant, la franchise pousse à signaler que si on la juge que du strict point de vue de l’efficacité, il y a longtemps que l’on sait faire beaucoup mieux. Le contraire serait franchement malheureux. Mais l’avantage de la Berlinette, et il est énorme par ces temps devenus difficiles pour les amateurs de sportives, c’est de distiller des sensations à la pelle sans qu’il soit nécessaire d’aller très vite. Et ça, c’est presque un luxe qui n'est pas à la portée de la première voiture d'occasion qui passe. L’accession à la conduite sportive sans craindre la répression, croyez-le, ce n’est pas désagréable.
Ceci dit, et malgré ce qui est signalé juste au-dessus, la Berlinette A 110 est encore pourvue d’un certain degré d’efficacité selon les normes de 2007 et elle est parfaitement capable d’étonner son monde pourvu qu’elle soit entre de bonnes mains. La conjonction de ses caractéristiques que sont son empattement court (2,10 m), sa direction directe (3,25 tours de butée à butée et 9,30 m de diamètre de braquage) et précise, son train arrière à essieu brisé (donc pas rigoureux géométriquement), son centre de gravité extrêmement bas, son fort déséquilibre pondéral sur l’(extrême) arrière, et ses pneus de petite largeur (165), en font une auto vive et maniable comme peu d’autres. La Belinette A 110 a le don de faire passer pour un pilote de rallye confirmé quiconque la conduit sans trop de maladresse.
Les dérobades de l’arrière apparaissent sainement et à des vitesses où tout reste contrôlable sans danger. Maintenant, il faut être clair, s’agissant particulièrement de la 1600 S, cela peut aller très vite et alors devenir scabreux. Surtout que le « 807-25 » (ou « 844-32 ») se montre un poil trompeur par rapport à l’hystérique 1296 cm3. Le 1600 semble comme manquer de fougue. Mais à la vérité il pousse la chétive Berlinette avec une si grande facilité que les vitesses demandant un réel don pour demeurer sur la route en cas de dérobade arrivant en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Il ne faut jamais perdre de vue que les glissages provoquées volontairement par les diverses actions possibles que sont l’appel-contre-appel et le délestage de l’arrière par un freinage en entrée de virage, ne sont pas tout à fait comparables à celles arrivant par une rupture d’adhérence impromptue. La tendance à survirer est une seconde nature chez la Berlinette A 110. Cela permet de la placer avec précision et de jouer de sa réponse instantanée au contre-braquage et à l’accélération. Rappelez-vous par contre que le train arrière est un essieu brisé et que si la roue en appui passe « en dessous » comme on dit (prise de carrossage positif), alors gare !
La Berlinette vire autant avec ses roues avant qui impriment le mouvement, qu’avec ses roues arrières sur lesquelles l’application de la puissance moteur a une incidence directe sur le grip transversal. Ce qui provoque en permanence l’invitation à la conduite sportive. Ju-bi-la-toi-re !
Je le disais plus haut, le 1600 semble en retrait comparativement au 1300 (S ou Super). Ce sont ses courbes de puissance et de couple, plates, qui induisent en erreur. Car à la vérité et avec un peu d’attention, je le répète, on s’aperçoit vite que l’accélération est vive et que les reprises ne sont pas en reste. Pour situer les choses, une 1600 S est capable de 29"6 à 28"3 au kilomètre départ arrêté. Plutôt bien n’est-ce pas ?
Le 80 à 100 km/h en 3me est effacé en 2"3 ; en 4me en 3"2 ; en 5me en 4"3. De 80 à 120 km/h, la 1600 S demande 4"5 en 3me ; 6"4 en 4me ; 9"1 en 5me. La vitesse de pointe atteint 205 km/h au régime de 6.800 tr/min. La vitesse de croisière se situe par conséquent aux alentours de 180 km/h, vitesse à laquelle le moteur tourne à 6.000 tr/min. Incontestablement si cette voiture a tout pour amuser le pilote, elle n’amuse pas le terrain.
Attention tout de même à ne pas vous tromper sur son cas, bien que ses performances et la facilité de conduite de son moteur pourraient le laisser croire, la 1600 S n’est pas une bonne voyageuse. Elle est mal à l’aise sur autoroutes et routes rectilignes car elle ne sait pas aller droit. Surtout par vent latéral et au doublage des camions. À force ça use, car il faut beaucoup d’attention pour conduire cette auto qui n’est presque pas autostable. Ce n’est pas une Grand Tourisme, prenez donc plutôt les itinéraires les plus tortueux possible pour vous déplacer à son volant