Lancé en 2006, Auto Moto Collection était spécialisé dans la voiture sportive de collection. Tous les deux mois, des milliers de passionnés y découvraient de superbes reportages sur leurs automobiles préférées, de sportive d'occasion comme la Ferrari 550 Maranello à la légende d'avant-guerre qu'est l'Amilcar CGSS. Ce magazine a malheureusement disparu et bon nombre de ses lecteurs regrettent encore aujourd'hui que les articles publiés ne soient pas disponibles. Ce manque est aujourd'hui comblé puisque ce blog publiel'intégralité de tous les articles parus. Bonne lecture à tous.



Lancia Delta S4 - 1986




Avec l'arrivée des groupes B et de la première domination outrancière des Audi Quattro, chaque constructeur en lice fourbit ses armes. La réglementation oblige de produire 200 exemplaires ? Pas grave, les constructeurs n'hésiterons pas à se lancer dans une telle fabrication, rien n'étant trop cher pour concourir à la victoire finale. Peugeot avait donc sa 205 Turbo 16, Ford sa RS 200 et Lancia sa Delta S4...
Nous sommes alors dans la première moitié des années 80 et le rallye bas son plein. Audi a frappé très fort avec ses Audi Quattro et rafle les victoires sur tous les terrains. Face à ces nouvelles venues dotées d'une technologie évoluée (quatre roues motrices, moteur turbocompressé...), les anciennes gloires du passé ne peuvent que ramasser les miettes. Certes, les Lancia 037 Rallye ou les Renault 5 Turbo ne baissent pas les bras, mais elles ne peuvent rien faire. Alors Peugeot qui compte bien avec sa 205 relancer toute l'entreprise en situation délicate, sera de la partie avec pour la route les 205 GTi, chargées de se mettre en tête du phénomène GTi, et également de courir sur les rallyes avec les 205 Turbo 16. Ces dernières vont rapidement s'installer en tête des rallyes devant les Audi. Ford vient avec une RS 200 qui étonnera les observateurs. Et Lancia ne restera pas inactif. Sous la houlette de Cesare Fiorio (qui sera plus tard directeur de la Scuderia Ferrari en Formule 1 notamment avec Alain Prost comme pilote en 1990), toute l'équipe Lancia va élaborer la future Delta S4, qui s'appelle encore la Lancia 038.

Une ligne taillée à la serpe !
Pour ce qui est de l’apparence de la S4, n'allez pas chercher de similitude avec la Delta de série produite depuis 1979 ! A part la calandre et les blocs optiques arrière, tout le reste est 100% spécifique. Et pour cause ! En fait, si la silhouette de la Delta S4 s'apparente à la Delta de "monsieur tout le monde", elle diffère au niveau des proportions puisque la carrosserie habille un châssis tubulaire hérité des Lancia 037. La parenté avec la série est
donc là, mais les cotes de la voitures diffèrent à l'avantage de la S4 qui est plus large et longue que les Delta de route. De même, la S4 n'est dotée que de deux portes et de deux places. Derrière, c'est le moteur que vous embarquez en passager ! Les immenses prises d'air latérales pour alimenter le moteur en air frais, semblent donner un sac à dos à cette S4. Belle ? Difficile à dire, en revanche elle est bestiale à n'en pas douter et une digne représentante de la période des Groupe B homologuées route.
Dans les aspects pratiques, on notera les capots avant et arrière qui basculent intégralement afin de découvrir totalement mécanique et train roulant, en prévision des interventions rapides en course. Avec sa calandre Lancia et ses quatre phares, la Delta S4 annonce fièrement la couleur d'autant plus avec sa teinte rouge du plus bel effet. Les jantes de 16’’ en alu offrent un voile presque plein. Les ouvrants semblent avoir été découpés à la règle et à l'équerre et participe un peu au charme de ce physique "à la Frankenstein". A noter que le Cx est de 0,60 soit pire évidemment que la Delta de série. Les observateurs avertis auront remarqué la lame arrière en carbone sur le hayon destiné à créer de la déportance. L'habitacle est étonnant car finalement très bien fini et élégant. Rien à voir avec une Peugeot 205 T16 dont la finition était aussi bâclée que sur une 205 Junior. Ici, le pilote a le droit à une planche de bord complète et d'un dessin classique (identique à celui des Mercedes W124...), et surtout d'une sellerie complète en alcantara (contreforts des portes, bas de la planche de bord, sièges) avec une moquette épaisse.
Lancia sait recevoir ses acheteurs de voitures exclusives ! A ce niveau de prix (environ 600.000 francs de l'époque, soit 100.000 euros), le client n'était pas volé. L'équipement de série était très complet en adoptant même la climatisation, un accessoire encore peu répandu en 1983. Bon il faut avouer que sans climatisation, avec la boîte de vitesses entre les passagers, la chaleur monte vite dans l'habitacle ! De petites touches d'exclusivités sont éparses ça et là avec notamment un pédalier alu, des logo "Lancia" sur les passages de portes. Sur le volant trois branches, on peut voir le logo "Abarth" rappelant que le coeur de la S4 doit beaucoup à l'officine du sorcier italien.

Un moteur doté
d’une double suralimentation
La Lancia Delta S4 innove avant tout par son mode de suralimentation qui combine un compresseur volumétrique "Volumex" Abarth et un turbocompresseur KKK. Une technique qui présente l'immense intérêt d'avoir de la souplesse et du couple dès les plus bas régimes et de les conserver jusque dans les tours. Si aujourd'hui les turbocompresseurs basse pression ont résolu en partie ce problème à bas régime, au début des années 80 les turbocompresseurs qui offraient beaucoup de puissance étaient brutaux et très creux dans les bas régimes. Le mariage opéré donc sur la S4 sera réédité plus tard pour la (grande) série avec la Volkswagen Golf GT Mk5.
Le projet du moteur démarre en 1983 sur la base de la Lancia 037. L'ingénieur Giorgio Pianta, motoriste nouvellement recruté chez Abarth, est l'artisan du mariage compresseur volumétrique et turbocompresseurs sur un moteur de 037 hybride. L'ingénieur Claudio Lombardi travaille quant à lui sur la synchronisation de la double suralimentation en avec un système de by-pass. Le comportement de ce moteur-protype en est entièrement transfiguré et autorise une plage d'utilisation de 1200 t/mn à 8400 t/mn ce qui tranchait singulièrement avec la concurrence directe. les ingénieurs ont privilégié un moteur tout alu et de course courte, plus apte à offrir les qualités requises pour la compétition.
Installé en position central arrière, il est mis longitudinalement. La boîte de vitesses (une Hewland avec pignonnerie ZF remplaçant celle de la version course et des synchroniseurs Borg-Warner) est posée devant ce moteur, débordant donc dans l'habitacle entre les sièges. Le petit 1800 à quatre cylindres, ainsi "boosté" offre donc des performances de choix sur les versions de course. Sur la version route, le conducteur peut compter sur 245 ch à 6.750 tr/mn et 29,7 mkg de couple à 4 500 tr/mn. Des valeurs qui pourraient paraître modestes eut égard des valeurs affichées par des sportives actuelles (une Audi S3 Mk2 affiche 265 ch) mais suffisent cependant à offrir à cette version routière des performances de choix,
surtout pour 1983 : le 0 à 400 m est franchi en 14,2 secondes et le kilomètre départ arrêté en 25,6 secondes. Les amateurs de statistiques apprécieront cette performance. Ce qui est d'autant plus intéressant dans le cas de la Delta S4 c'est sa souplesse mécanique dont est dépourvue par exemple la 205 Turbo 16. Le mode de fonctionnement de l'ensemble compresseur/turbo mérite d'être détaillé : l'air comprimé dans le turbocompresseur est refroidi dans un premier échangeur air/air. Il est ensuite comprimé une nouvelle fois dans le "Volumex" et refroidi une seconde fois. Lorsque le moteur monte dans les tours, le compresseur s'efface progressivement au profit du turbocompresseur. En véritable voiture de course, la Delta S4 a adopté une lubrification moteur et boîte à carter sec.

Un vrai châssis de course...
La Lancia Delta S4 possède un vrai châssis comme ceux des autos de course. Dotée d'un châssis tubulaire en chrome-molybdène, elle reprend en fait l'architecture de la Lancia 037 Rally. Dessus est greffé évidemment la mécanique (il n'est donc pas porteur comme sur les monoplaces) mais aussi ses suspensions à triangles superposés articulés sur rotules. Petite anecdote technique, les suspensions arrière sont dotées de 4 amortisseurs. Pour mémoire, la Ford RS 200 faisait plus encore avec quatre amortisseurs sur chaque essieu ! La Lancia 037 Rally était une "classique" propulsion et marquait ainsi le pas face à la concurrence affûtée. Le constructeur italien est donc passé lui aussi à la transmission intégrale avec une répartition asymétrique du couple entre les essieux avant et arrière (30% et 70% respectivement) complétée de trois différentiels dont le central visco-coupleur de type Fergusson. A noter que pour les versions civiles, le différentiel avant n'était pas autobloquant alors que sur les versions courses les trois différentiels pouvaient être bloqués. Pour ralentir l'auto, Lancia a prévu des disques ventilés de 300 mm de diamètre aux quatre roues pincées par des étriers Brembo. Pas d'ABS au programme.
La direction était également conçue avec raffinement puisqu'elle était équipée d'une assistance progressive en fonction de l'angle de braquage (à dépression). La liaison au sol était alors assurée par des jantes alu de 16 pouces chaussées de pneumatiques Pirelli P Zero Corsa à bande de roulement pratiquement lisse sur la moitié extérieure et à sculpture sur la partie intérieure. Presque du semi-slick avant l'heure ! avec ses 1200 kilos, la Lancia Delta S4 limitait la casse et avec ses 250 ch son rapport poids/puissance de 4,8 kg/ch la mettait dans la moyenne de ses rivales.

Acheter une Delta S4...
Avant d'en acheter une, il faudra déjà la trouver : elle ne traîne sûrement pas sur le parc du vendeur de voiture d'occasion du coin ! Très rares, certaines ont parfois couru, il faudra donc bien chercher pour trouver un exemplaire en parfait état. Quasi inexistante dans notre pays, vous n’aurez d’autre choix que d’aller dénicher une S4 sur les sites internet des marchands étrangers spécialisés dans les grosse sportives de collection. Les anglais et les allemands sont sûrement les mieux pourvus. Quant à établir une cote moyenne, cela tient de la gageure vu le peu de transactions. Disons entre 60 et 80.000 euros selon l'état. Mais il faut rester lucide, acheter une Lancia Delta S4 ne peut s'adresser qu'à des collectionneurs avisés et connaisseurs, disposant d'un solide budget pour l'entretien et la maintenance. Imaginez en effet la tête de votre concessionnaire Fiat-Lancia local qui serait obligé de vous faire une vidange. Une opération pas si aisée sur un moteur à carter sec, à moins de savoir.

Conclusion...
Dans la lignée des groupe B, la Lancia Delta S4 apporte avec maestria son interprétation du genre. Une gueule inimitable, des performances toujours actuelles, un palmarès en rallyes reconnu et une histoire captivante lui laissent une place à part dans le coeur des amateurs de rallyes. Mais attention, il faudra acheter une S4 en connaissance de cause, n'est pas collector qui veut, notamment dans son entretien et sa maintenance...