Renault Spider - 1996
Pare-brise
ou Saute-vent ?
Pas de toit, encore moins de capote, presque pas de place pour les bagages, pas le moindre soupçon de moquette… Ces spiders sont un pied de nez au conformisme. Et pourtant c’est bien Renault qui les a mis au monde. Un peu comme si le fantôme d’Alpine avait plané au dessus de leur berceau. L’idée n’est pas si saugrenue d’ailleurs. Alors que l’avenir d’Alpine s’assombrissait déjà à la fin des années 80, Renault avait présenté au salon de 1989 un concept-car très enthousiasmant, la barquette Laguna. Rien à voir avec la berline qui en reprendra le nom, mais ce gros jouet de couleur bleu lagon s’inscrivait dans la dynamique sportive de la marque. Renault mise alors à fond sur la compétition. Une politique qui va porter ses fruits avec un premier titre de Champion du Monde des constructeurs décroché en 1992 et la domination de Nigel Mansell sur la saison de F1. Impossible de laisser un tel engouement se dégonfler. Le patron de Renault Sport, Christian Contzen veut surfer sur la vague. Il veut donner naissance à une barquette à moteur central ultra sportive estampillée Renault Sport. Une idée qui trouve un écho enthousiaste chez Patrick Le Quément, le responsable du design chez Renault. Rapidement, logiquement, ils mettent en commun, leurs talents, leurs compétences et leur volonté pour lancer le projet W94. Dès le printemps 1993, Renault Sport et Renault Design se partagent le travail. Michel jardin chapeaute plusieurs designers chargés de donner un visage à cette barquette. Le dessin de Benoît Jacob s’imposera rapidement.
Superbe et violente
La société Fior Concept de Nogaro est choisie par Renault Sport pour élaborer le châssis. Un choix qui ne doit rien au hasard puisque Fior Concept est spécialisé dans les cadres de motos et les châssis de course. Boosté par une équipe ultra motivée et jouissant d’une certaine liberté comparé aux productions industrielles à grande échelle, le projet W 94 avance très vite. En juin 1944, la coque rejoint la structure et le moteur dérivé directement du bloc de la Clio Williams. Le prototype peut même être peaufiné (le pare-brise disparaît au profit d’un saute-vent) avant d’être dévoilé au salon de Genève 1995 sous le nom de Spider Renault. C’est une machine superbe, violente, sans aucune concession. Un ovni plein d’oxygène se moquant des lois du diesel et du cocooning à outrance. Une bulle d’espoir aussi pour les inconsolables de l’Alpine qui avaient appris en début d’année la mise à mort de l’A 610. Le succès d’estime est au rendez-vous. Les ventes décollent, mais ont du mal à s’envoler. Il faut dire que le spider est un dur à cuire, c’est le niveau zéro du confort. Une impression d’autant plus forte que l’absence de pare-brise impose le port du casque.
Les fondus de course sont aux anges, ceux qui rêvaient d’un long week-end cheveux au vent en sont quitte pour une conjonctivite. Renault va vite le comprendre et corriger le tir. Dans un premier temps, on peut équiper son spider d’un pare-brise moyennant une rallonge de 5.000 francs (762 euros), puis la version pare-brise est proposée officiellement dès le mois de mars 1996, toujours à Genève.
1.636 exemplaires seulement...
Les ventes du spider bénéficient largement de cette amélioration. S’il plaît en France, il s’arrache littéralement en Allemagne. Au total, entre 1995 et 1999, ce sont 1.636 spider qui seront construits. Une production d’autant plus honorable que la concurrence fait rage en cette fin d’années 90 et qu’il faut tout de même débourser 200.000 francs de l’époque (30.000 euros) pour s’offrir cet engin certes exclusif mais pour le moins spartiate. La rivale la plus sérieuse vient d’outre-Manche. La Lotus Elise joue clairement dans la même division, celle des gros karts légers et très nerveux. Et elle fait mal. Moins puissante, elle compense ce handicap par un poids plume : 695 kilos contre 930 pour le spider. Beaucoup vont succomber aux charmes de l’anglaise. Aujourd'hui, le spider Renault est passé du statut de voiture d'occasion à celui de véhicule de collection certifié. Les amateurs ne s'y trompent pas. Il faut dire que cet incroyable spider Renault ne manque pas d’atouts, même s’il est vrai qu’un moteur plus généreux (comme le V6 maison) aurait été un vrai plus... Il est d’ailleurs rassurant que voir qu’aujourd’hui, les amateurs se disputent les rares exemplaires qui passent dans les petites annonces. « C’est même la version sans pare brise qui est la plus recherchée, un comble quand on sait qu’elle refroidissait les acheteurs potentiels au début », s’amusent Mickaël et Clément. Leurs deux spiders résument parfaitement l’évolution de l’espèce. Ils sont tous les deux jaunes et gris. S’ils partagent l’allure générale, les différences entre le modèle doté du saute-vent et celui équipé d’un pare-brise sont conséquentes. Les deux voitures sont basses et trapues, l’empattement est de 2,34 m pour une longueur totale de 3,79 m. Le nez est plongeant et court, affiné par la présence des optiques sous plexi au dessin en pointe. Si vous voulez emporter une trousse de toilette (plus c’est dur), il faut basculer tout l’avant de la voiture pour accéder au minuscule coffre à bagages, un caisson en matériaux composites, comme le reste de la carrosserie, posé en avant des roues, un peu comme sur une F40. La ceinture de caisse très plate renforce encore l’impression d’être en présence d’un canot. On n’appelle pas ce genre de carrosserie « barquette » pour rien. Les flancs sont marqués par les imposantes ouies d’aération où s’engouffre l’air frais destiné à refroidir le petit 4-cylindres de 2 litres , caché sous le capot arrière.
Jeux de plein air
Si l’avant est effilé, l’arrière lui est massif. La croupe du spider est large et musclée. La partie basse, grise, intègre les feux de position, les clignotants, la plaque de police et les extracteurs d’air chaud. Elle fait aussi office de pare-chocs, puisque, comme à l’avant, les bumpers sont inexistants. Pour accéder au moteur, il faut basculer sur l’avant l’imposant capot, en fait la partie jaune de l’arrière. Le quatre cylindres emprunté à la Clio Williams y est confortablement installé en position centrale. Le bloc est en fonte et la culasse en alliage léger. L’admission et l’échappement sont assurés par quatre soupapes par cylindres. La distribution se fait par deux arbres à cames en tête, actionnés par courroie. L’injection multipoints et l’allumage sont gérés par électronique. La version saute-vent et celle pare-brise ont le même moteur. C’est donc uniquement au niveau de la conduite que se fait la différence. Notre « saute-vent » date de 1996, l’époque héroïque où il fallait être hyper motivé pour affronter la route au volant d’un tel engin. L’arceau de sécurité et les sièges baquet sont communs aux deux modèles. En revanche, le tableau de bord est forcément placé plus bas sur le saute-vent. Le compteur de vitesse se retrouve du coup juste au dessus de la console centrale. Seuls le compte-tours, avec une zone rouge à 7.000 trous, la température d’huile et la température d’eau sont derrière le volant, directement dans l’axe de vision du pilote. Une visibilité sur l’avant parfaite puisqu’il n’y a absolument rien entre le conducteur et l’horizon.
Fatiguant
sur longs trajets
Le dispositif du saute-vent n’est pas pour autant bâclé. Il s’agit au contraire d’un ingénieux système de lames en carbone qui va capter l’air et l’extraire à la verticale, une vingtaine de centimètres en avant du volant. La solution est excellente en dessous de 110 km/h , mais elle n’écarte pas les moineaux ou les gravillons. Le port du casque n’est pas indispensable mais vivement conseillé sur les grands trajets.
Pas de telles contraintes avec le « pare-brise » de 1998. Ici, on est clairement dans un cabriolet qui aurait oublié sa capote. La baie vitrée protège du vent, des bourdons et des projections de toute sorte. La planche de bord a, du coup, pu être remaniée. La plage avant permet même de loger un compteur de vitesse à affichage électronique caché sous une casquette. Le luxe ! « Mais c’est au volant que la différence se fait vraiment sentir. Sans rire, ce sont deux voitures différentes », m’explique Clément tout en ouvrant les portières élytres de son spider. L’invitation à la balade est claire. Prendre place à bord de cette barquette demande un poil d’expérience.
Moins de 7 secondes
pour passer les 100 km/h
Il faut y descendre, quitte à prendre appui sur l’arceau de sécurité. Une fois coulé dans le siège baquet, le plus délicat est fait. L’ambiance est vraiment minimaliste. C’est aluminium et carbone à tous les étages. La place pour les jambes et étonnante, le passager peut même les allonger sans problème. Le conducteur n’a pas à se plier aux exigences d’une ergonomie étriquée, comme dans les barquettes des années 60. La position de conduite est finalement bonne, permettant de jongler avec les pédales si l’envie de jouer avec ce gros kart se fait trop forte.
Contact. Première. Les accélérations sont franches et les reprises nerveuses. Il faut moins de 7 secondes pour abattre le 0 à 100 km/h . C’est le domaine de prédilection du spider. Si la barquette Renault chatouille sans complexe le 210, elle a été taillée pour privilégier les accélérations et les attaques serrées en courbe. L’absence de pare-brise est, dans ce cas, un vrai régal. Le vent fouette le visage, les montées en régime du moteur arrachent les oreilles. II faut toutefois grimper dans les tours pour obtenir le meilleur du 2 litres . Les 150 chevaux s’expriment pleinement à 6.000 Tr/min. J’ai préféré oublier le casque pour goûter cette version saute-vent. Les sensations sont garanties, mais passé 110 km/h , le rideau de vent sensé protéger les passagers du spider passe aux oubliettes. Il est difficilement imaginable de franchir les 150 km/h sans grosses lunettes tant l’air cingle les yeux. Il y a un petit côté chute libre dans ce spider saute-vent que les amateurs de parachutisme retrouveront. S’installer dans la version pare-brise semble du coup presque tranquille. La violence du saute vent a disparu. Je peux savourer la musique du moteur, m’attarder sur les montées en régime, profiter d’une balade sous le soleil, cheveux au vent. Mais où est donc passé le démon qui encourageait à jouer avec la boîte de vitesse, à jeter la voiture dans les courbes pour l’en extraire pied au plancher et contre-braquage au bout des bras, tout à l’heure ? Evanoui, parti en vacances ! Avec le pare-brise, c’est le cabriolet estival (mais sans la capote alors gare aux averses) qui s’impose naturellement. Une autre conduite, un autre tempérament. Notre ami qui a accepté de prêter ses deux Spider Renault a finalement fait le bon choix. L’idéal, c’est encore d’avoir les deux...