Maserati 424 V - 1990
Les Maserati des années 80-90 traînent une sale réputation : moteurs capricieux, réglage des turbos très délicat et look dépassé. Certes, il faut aimer les lignes tendues et les angles, mais pour le reste, le 6-cylindres est tout sauf un timide. Allez, méfiez vous des apparences et accrochez votre ceinture. Ça pousse fort !
Autant l’avouer tout de suite, je suis à la bourre ! Et pour arranger le tout, un gros poids-lourd se traîne devant moi depuis quelques kilomètres... Les premiers rayons de soleil baignent la campagne et me dévoilent, enfin, une ligne droite bien dégagée. Je rétrograde et appuie immédiatement du pied droit. En une fraction de seconde, les aiguilles du compte-tours et du compteur de vitesse sont boostées. La Maserati 424 V dévoile son jeu. Derrière une ligne taillée à la serpe qui accuse les années se cache un caractère bien trempé. Celui d’une berline ultra sportive crachant 290 ch et abattant le kilomètre départ arrêté en 26,3 secondes ! Hors de question de me remémorer ces chiffres pour l’instant, le camion n’est plus qu’un point noirci dans le rétroviseur. En jetant un œil à la superbe montre en or du tableau de bord, je suis rassuré. Je serai pile à l’heure au rendez-vous.
En me tendant les clefs de sa voiture, Olivier m’avait charitablement prévenu :
« attention : elle est méchante ». La vie est cruelle et je dois confesser que je prenais cette 424 un rien à la légère avant de faire sa connaissance. Et pourtant !
Maserati a sans doute l’un des palmarès automobile les plus prestigieux. Il faut dire que les fondateurs de la marque ont cultivé très tôt le goût de la compétition. Les quatre frères Maserati, Bindo, Ernesto, Alfierri et Ettore, s’associent dès 1914 pour fonder la Officina Alfieri Maserati Spa. On dit que c’est la statue géante de Neptune trônant sur la place principale de Bologne quoi leur aurait donné l’idée de choisir le trident pour emblème. Mais peu importe, car ce qui les titille dès le début, c’est la course. Et c’est dans cette optique qu’ils affûtent les performances des Isotta Fraschini qu’ils vendent.
La première guerre mondiale donne un coup de frein à ce bel enthousiasme, mais dès la paix revenue, les quatre frères reprennent leurs travaux. C’est rapidement le succès. En effet, en 1926, Alfieri emporte une première victoire. L’auto porte encore le nom du sponsor mais il s’agit déjà d’une Maserati. C’est le début d’une longue série de podium et de trophées, parmi lesquels les 500 Miles d’Indianapolis de 1939, les 1.000 km de Buenos-Aires en Argentine, le grand prix du Nüburgring, celui de Sebring…
Un démon de la compétition qui va finalement coûter cher aux quatre associés. Plus soucieux de construire des voitures performantes sur les circuits que de produire des autos assurant la bonne santé financière de l’entreprise, les frères Maserati ont été obligés de céder leur marque un peu avant-guerre. Après le second conflit mondial, Maserati commence à se diversifier. La marque ne mise plus uniquement sur les modèles très sportifs mais commence à s’intéresser aux berlines luxueuses et aux GT. Mais plus la marque grandit, plus elle s’affaiblit économiquement. Au point d’être rachetée en 1968 par Citroën.
Des noces qui ne durent pas, le divorce prononcé en 1975 étant accéléré par le semi échec de la SM. Un coup dur pour Maserati qui est même mise en liquidation judiciaire avant d’être reprise par un autre grand nom du sport automobile, Alejandro de Tomaso. La tourmente des années 80 laisse des traces chez bon nombre de constructeurs italiens. Maserati n’y échappe pas et De Tomaso sera obligé d’aller chercher le soutien financier de Chrysler en 1986. L’arrivée du géant américain va donner un bol d’air bien venu. L’année suivante, de nouveaux modèles sont présentés. L’embellie est cependant de courte durée. En décembre 1989, c’est le puissant groupe Fiat qui vient au secours de De Tomaso, en prenant une participation de 49% dans le capital.
Repositionner la gamme...
Pour sauver Maserati, les investisseurs sont persuadés qu’il faut quitter l’univers des GT pour se recaler sur celui des berlines luxueuses à hautes performances, comme le sont les BMW, Mercedes et autres Jaguar. Finies les superbes Merak, Ghibli et autres Bora (il faudra attendre le XXIe siècle pour retrouver cet esprit), l’heure est au raisonnable. Le cahier des charges de la nouvelle gamme est limpide : pas de nouvelle motorisation mais plutôt une optimisation de ce qui existe et un retour à des volumes de carrosserie ultra classique mais traités luxueusement.
En cette fin d’années 80, la marque semble enfin tirée d’affaire. Le trident est alors distribué par une trentaine de concessionnaires en France. Mais il est impossible d’y dénicher une 424. Les modèles distribués sur l’hexagone sont la Biturbo Si, la 420, la Karif, la Royale et la Biturbo Spider, puis un peu plus tard la 222 SE, la 228, la 430 et la Shamal. La 424 V, la quatre portes à 24 soupapes, est en fait réservée au marché italien. Pour faire simple, c’est la version berline du coupé 224. Comme la majorité de ses sœurs des années 80, cette Maserati est due au talent du designer italien Andreani. Il avait la lourde tache de dessiner une automobile sérieuse, très classique mais ne pouvant pas renier son passé sportif.
C’est fort de ces impératifs qu’il a lancé les lignes de la Biturbo et les a déclinées sur les modèles en découlant. La 424 V en est l’apogée. De face, elle est presque austère. Le bouclier est en plastique, avec les anti-brouillards intégrés encadrant la plaque de police. Un spoiler avant lourd, digne d’une lèvre de boxeur. Du coup, la calandre, peinte dans la même teinte sombre que la caisse, passe presque inaperçue. Son dessin est pourtant très joli, en trapèze inversé avec, en son centre, le fameux trident. Cette face est en fait très marquée par les optiques carrés, deux par deux, encadrant cette calandre.
Austérité et gènes sportifs...
Du très austère tout cela. Fort heureusement, le capot assume les gènes sportifs par son dessin en V, allongeant le nez de la voiture. De profil, les choses s’arrangent. Il y a tout d’abord les passages d’ailes avant et arrière bien musclés. Le bas de caisse est lui aussi très bodybuildé. Même s’il a mis un point d’honneur à respecter un esprit sportif ultra classique, Andreani n’a pas pu ignorer les tendances de l’époque. En cette fin d’années 80, la mode est aux préparateurs allemands qui y vont à grands coups de spoilers, becquets, bas de caisse et autres ouies. Si les portières et le mini coffre ne font pas dans l’exubérant, en revanche, les lignes nerveuses de la custode apportent juste ce qu’il faut de tonus. Petit clin d’œsil sympa : les tridents sur les montants de custode. Sans oublier l’arrête qui court le long de la caisse et qui allonge la ceinture de caisse. A l’arrière, les blocs optiques n’ont rien à envier à ceux d’une BMW contemporaines. Le coffre a droit cependant à un mini becquet qui surligne l’écusson au trident. Au cas où l’automobiliste vous suivant n’aurait pas remarqué les doubles sorties d’échappement noyées dans le pare-choc arrière, le constructeur a pris soin de signer son œuvre en lettres chromées sur le coffre : Maserati 424 V.
Parfait équilibre...
Croiser une Maserati quatre portes des années 80 est toujours intriguant. J’ai plus l’habitude de me trouver face à un coupé, aux traits dynamiques mais un rien tronqués. Ici, rien de cela. La 424 est d’un parfait équilibre. C’est donc le plus naturellement du monde que l’on cherche la poignée de porte arrière pour s’y installer. L’habitacle est un modèle d’élégance. L’intérieur est habillé de cuir gris, d’alcantara gris très clair et de bois précieux. Les places arrière sont généreuses. Conçues pour deux personnes, elles peuvent néanmoins en accepter une troisième en escamotant l’accoudoir central. A l’avant, les sièges sont du même acabit. Les bourrelets latéraux offrent un maintien dans les virages serrés qui n’est pas superficiels. Ce ne sont, bien sur, pas des sièges baquets mais on est loin des savonnettes de certaines GT contemporaines. Conducteur et passager avant sont séparés par une large console centrale. C’est clairement la ligne de démarcation entre l’univers du pilote et celui de son invité. A droite, on peut profiter pleinement du paysage grâce à l’importante surface vitrée de l’habitacle. Seules les lettres de « Maserati » plaquées sur le bois précieux du tableau de bord peuvent tirer le passager de ses rêveries.
Le conducteur a, en revanche, de quoi s’occuper l’esprit, avec par exemple la console au dessus du volant, qui regroupent les cadrans du compteur de vitesse gradué jusqu’à 280 km/h et du compte-tours, à 8.000 tours, avec une zone rouge à partir de 6.500 tours.
On prend vite goût au luxe...
Il lui faut aussi gérer l’air conditionné par la petite centrale, aux boutons sensitifs. Etrange mariage que celui de cette technologie très " années 80 " et du bois précieux. Mais je m’y fais rapidement. Tout comme à ce volant dont la jante en bois avait aussi de quoi me désorienter au début. Mais, c’est comme le levier de vitesse de la même essence, j’y prends vite goût. D’autant plus que les sensations au volant ne sont pas sans saveurs. Quelques minutes suffisent pour trouver la bonne position de conduite. Juste le temps en réalité de jouer avec les boutons de réglage. Bien calé dans mon fauteuil, confortablement installé aussi, je donne un coup de clef. Réponse immédiate du 6 cylindres bi-turbo. Le ronronnement est tonique et trahit l’envie d’en découdre.
Avalanche de puissance...
Première, l’aiguille du compte-tours est bien sage, j’avance sur un filet de gaz. Seconde, la 424 reste très docile. Presque trop à mon goût, mais Olivier m’invite fermement à pousser les rapports : « les turbos ne se déclenchent pas en dessous de 3.000 tours. Il faut appuyer sinon tu n’as pas de puissance. Avec elle, c’est tout ou rien. La ville pépère ou la campagne nerveuse ».
Très bien. J’enfonce l’accélérateur. Quelques micro-secondes d’appréhension, le temps que l’aiguille escalade les milliers de tours. Et puis, c’est l’avalanche ! D’un seul coup, les deux turbos IHI lâchent leur rage et la 424 se métamorphose. La berline tranquille devient une GT. A l’origine, elle développe déjà 245 ch mais le modèle affûté d’Olivier en possède près de 290 qui hurlent sous le capot. En ligne droite, c’est bluffant. Dans les petits chemins tout en courbe, il faut jongler avec les rapports, histoire de conserver toujours de tours moteur pour solliciter sans temps mort les turbos. Un coup à prendre. Le freinage est assuré par des freins à disque sur les quatre roues, sachant que ceux de devant sont ventilés. Rien à redire de ce côté-là. Même lancée à bonne allure, la 424 freine droit et efficacement. Et à moins de taper dedans comme un malade, ils ne surchauffent pas facilement. La tenue de route est excellente et très saine. Les amortisseurs Koni font un travail remarquable. Ils ont été mis au point en collaboration avec Maserati. Leur fermeté est réglable depuis l’habitacle grâce à un ingénieux système de limaille en suspension dans l’huile et qui, sous l’effet d’un aimant, modifie la densité du liquide. Ils encaissent sans sourciller la violence des accélérations, évitant ainsi que la Maserati ne devienne une toupie. Les pneus chaussés en 16 pouces , sur de superbes jantes en alliage OZ à sept branches, sont là aussi pour dompter le fauve.
La 424 d’Olivier est un modèle 1990, mais l’ancien propriétaire a fait effectuer quelques modifications, notamment sur l’injection électronique, pour obtenir les performances de la 424 Racing, une série ultra limitée mais aussi plus sportive. Sa 424 V a gagné par cette opération près de 45 ch. Le feu qui couve sous la glace en somme, car de l’extérieur la 424 trompe bien son monde. Il est très difficile de l’imaginer talonnant une Porsche 911 contemporaine. Et pourtant, elle n’amuse pas la galerie. Il faut même s’en méfier. En témoigne la garde au sol franchement basse. Sur des petites routes de campagnes, bombées, Olivier s’est déjà fait quelques belles frayeurs en sentant le carter de la boîte frotter sur le goudron. C’est qu’on se surprend à vouloir la pousser cette Maserati, à voir jusqu’où elle peut nous étonner.
Je m’attendais à trouver une voiture d'occasion italienne tendance Vatican : habillée de noir, de bonne famille et sage à l’excès. Méfiance ! Derrière la pieuse nonne se cache une vraie fille de Modène, délurée et sans complexe.